01 novembre 2013
Du sport comme autisme : addenda
À la suite de ma note Du sport comme autisme, je mets en ligne deux addenda constitués de mes réponses à des commentaires concernant le signalement que j’avais fait en 2008 du livre de Marc Perelman, Le sport barbare (éditions Michalon). Je répondais sur les thèmes Le sport sans score, Le sport est une religion et sur un argument classique visant à démontrer que les dérives du sport n’auraient « rien à voir avec le sport . » (!)
Vive le sport, à bas le score ! (Albert Jacquard)
Le sport sans score, ça existe ? Oui, lorsqu'il s'agit de l'activité physique de ceux qui pratiquent tranquillement sans enquiquiner les autres, sans chercher à embrigader, à exercer un pouvoir. Personne ne songe à dénoncer ce sport-là.
Mais le fléau dont parle ce livre, je suis heureux de voir qu'un intellectuel courageux ose enfin s'y attaquer car il faut un certain courage pour s'en prendre à ce que l'auteur considère à juste titre comme un opium du peuple plus dangereux encore que ceux qu'on voit actuellement à l'oeuvre. Et le recours à la polémique me paraît tout à fait sain en l'occurrence. C'est radical ? Bien moins que la violence verbale assortie de menaces qui s'est par exemple abattue, lors d'une émission de télé, sur l'auteur d'un livre qui osait critiquer le rugby. Je crois que c'était dans l'émission Ce soir ou jamais rare rescapée du débat d'idée sur le petit écran. Il est vrai qu'en fait d'idées, l'auteur du livre contre le rugby s'est entendu traiter de « type qui a un problème » et à qui ses interlocuteurs ardents défenseur des « valeurs » du sport ont conseillé de « se faire soigner », « d'aller voir un psychiatre ». Cela ne vous rappelle rien ? Moi si : un système totalitaire. Et M. Perelman a bien raison d'employer ce mot à propos de cette catégorie de sport qu'il vise dans son livre, n'en déplaise à qui trouve cette polémique au ras du gazon. Moi je la trouve salutaire et j'espère que ce livre se vendra comme des petits pains ! J'espère aussi que l'auteur ne sera pas obligé d'engager un garde du corps car de la part des fanatiques des « valeurs du sport » , valeurs qui ne sont rien d'autre à mon sens que celles de l'embrigadement, du combat, et du décervelage, je m'attends à tout.
Du sport comme religion
Dans leurs vastes dérives respectives, je trouve que sport et religion ont beaucoup de points communs. Je serais tenté de dire moi aussi que le sport est une religion, mais alors dans le sens le plus archaïque du mot, car selon mon point de vue d’occidental agnostique de culture chrétienne, je ne peux me résoudre à peser sur une même balance ce qui puise dans nos mauvais instincts et ce qui cherche à les dépasser (avec souvent, c’est évident, notamment dans les intégrismes de tous bords, des résultats opposés au but recherché).
« Ce qui n’a rien à voir avec le sport »
Qu'est-ce donc, « ce qui n'a rien à voir avec le sport » ?
La folie furieuse des stades, ces nouveaux temples : rien à voir avec le sport ?
La référence obsessionnelle au lexique sportif dans le champ de toutes les disciplines : rien à voir avec le sport ? (Un exemple, ces questions posées cette année aux candidats au concours d’orthophonie : « combien de joueurs dans une équipe de rugby ? » et « entre un terrain de basket et de volley, lequel a la plus petite surface ? » Détail édifiant, ces questions s’inscrivaient à la rubrique Culture générale !
L’allégeance de tout dirigeant politique au ballon : rien à voir avec le sport ?
À mon niveau très local, un ami cadre supérieur dans une entreprise m’a confié, un peu embarrassé, qu’il lui était fortement conseillé pour son avancement de se montrer de temps en temps dans les tribunes du stade : rien à voir avec le sport ?
Autre exemple (je peux en fournir des pages et des pages, tous tirés de mon quotidien le plus banal) datant de l’époque où ma fille était lycéenne ; je me suis bagarré sans succès avec l’administration du lycée pour la faire changer de classe afin qu’elle puisse trouver un horaire adapté à sa pratique musicale. Refus catégorique du proviseur adjoint qui m’a quand même avoué avec un sourire gêné que les demandes du même ordre émanant de parents d’enfants inscrits à des clubs sportifs avaient quant à elles été acceptées : rien à voir avec le sport ? allons donc ! Le sport est tout cela et depuis toujours, à quelque niveau qu’il se pratique.
Un dernier pour la route : Madame, vous êtes mutée dans une bourgade où l’équipe de ballon est soumise à l’obligation de résultat ? Logement garanti et boulot assuré pour Monsieur si les week-ends passés à courir après la baballe dans la boue ne le rebutent pas: rien à voir avec le sport ?
Allez, la der des ders : j’ai dans mes campagnes un homonyme tapeur de ballon que je n’ai jamais rencontré (normal, on ne vit pas sur la même planète !). Il fut un temps où, quand la maréchaussée me contrôlait sur la route, j’avais droit à une question attendrie accompagnée d'une subite bienveillance : vous êtes parent avec le joueur ? Alors moi : pour sûr, c’est mon cousin germain !
Mais cette anecdote n’a bien sûr rien à voir avec le sport...
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28 octobre 2013
Du sport comme autisme
Le sport forme des générations de crétins malfaisants.
- Léon Bloy -
Comment voulez-vous persuader un jeune homme de partir à la guerre s’il n’a jamais fait du sport auparavant ?
- Elfriede Jelinek -
N’étant pas parti cet été dans les Landes où j’ai l’habitude de me baigner dans l’océan et répugnant à la baignade dans les lacs et rivières, je fréquente désormais assez régulièrement le centre nautique. Je suis certes rebuté par la promiscuité dans les bassins avec des gens qui font un passage éclair sous la douche voire qui se dispensent de cette formalité mais si je veux nager un peu, je dois surmonter ce dégoût.
Nager n’est pas tout à fait le mot juste pour désigner mes séances de piscine. J’enchaîne mes longueurs de bassin à la paresseuse en assurant ma flottaison, la tête toujours hors de l’eau et en me propulsant lentement avec des mouvements inspirés de ceux des crapauds et des grenouilles. Sous l’œil perplexe des surveillants de baignade et parfois de mes amis qui pratiquent la brasse coulée et autres nages savantes et rapides, je ne nie pas le bénéfice que je tire de cette activité de détente que je ne conçois en aucun cas comme un sport, ce mot que je n’arrive même pas à employer sans avoir envie de me rincer la bouche si je viens à être contraint de le prononcer de vive voix.
Je n’ai appris à nager, ou plutôt à rester à la surface de l’eau, qu’à l’âge de quatorze ou quinze ans, grâce à une copine qui m’a enseigné comment ne pas couler comme une pierre. Dès l’enfance, j’avais banni l’idée même d’un ou d’une prof de natation à la voix d’adjudant me vociférant des ordres en me brandissant une perche sous le nez. Je n’ai toujours pas changé d’idée à bientôt cinquante-quatre ans. J’en parlais l’autre jour à quelqu’un à qui je demandais quel était l’intérêt d’apprendre des techniques compliquées de natation du moment qu’on était capable de flotter, à quoi on me répondit que cela permettait de nager plus vite et de le faire en s’appliquant, « comme il faut » . Passons sur la nécessité de « s’appliquer » qui m’est totalement étrangère depuis l’école maternelle, et sur l’expression « comme il faut » qui relève pour moi de la pure abstraction. Quant à la nécessité de nager plus vite, je peux à la rigueur la concevoir dans certaines circonstances (aileron de requin en vue dans la mer ou jeunes plaisantins s’essayant à un concours de crachats dans le bassin olympique de la piscine municipale).
Il est toutefois vrai que l’observation des autres nageurs renseigne sur la nature humaine, notamment sur la personnalité des plus sportifs qui nagent droit devant eux sans se soucier d’entrer en collision avec ce qu’ils considèrent comme de fâcheux obstacles à leur performance (un nageur lent, un enfant, une femme enceinte, une personne âgée pour qui, bien sûr, il y a la pataugeoire.) En zigzaguant pour éviter les chocs avec ces bellâtres, je me dis à chaque fois qu’ils incarnent cette forme d’autisme qu’est l’obsession de la technique et de la performance sportives : foncer droit devant sans regarder, illustrant ainsi ma définition personnelle du sport : aller nulle part mais le plus vite possible.
Illustration : Trois singes empruntés ici.
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11 mars 2011
Adieu Murakami !
Je n’ai jamais fait mystère de ma détestation du sport sous toutes ses formes et de ses prétendues valeurs, alors pourquoi ai-je fini par céder à la tentation d’acheter Autoportrait de l’auteur en coureur de fond d’Haruki Murakami (10/18) ? Sans doute parce que j’ai lu et apprécié, certes diversement, trois de ses ouvrages, tout d’abord son roman Les Amants du Spoutnik et deux épais recueils de nouvelles regroupées sous les titres L’Éléphant s’évapore et Saules aveugles, femmes endormies. Pour ce dernier recueil, c’est le titre magnifique et les belles couvertures de l’édition brochée et de l’édition 10/18 (j’ai choisi cette édition de poche) qui m’ont convaincu d’acquérir et de lire ces 500 pages dont il ne me reste qu’un vague souvenir pas désagréable.
Tel est le problème avec Murakami. On peut en lire des centaines et des centaines de pages en se demandant où il veut en venir sans pour autant se décider à renoncer. L’addiction à Murakami c’est comme la dépendance à la mayonnaise en tube. On se rend bien compte qu’on avale pas un produit de grande qualité mais on trouve ça bon quand même. Comme toutes les émulsions, ça descend un peu trop facilement et il faut en engloutir un bon paquet avec d’être écœuré.
Voilà qui est fait avec Autoportrait de l’auteur en coureur de fond. Cette lecture en plein épisode de surinfection bronchique (presque trois semaines dans le gaz) m’a fait le même effet que de croiser un de ces coureurs sur un chemin forestier. Vous êtes là à vous promener, à humer le bon air et à vous réconcilier avec le monde en contemplant la nature lorsqu’un de ces bipèdes auréolant ses polymères vous dépasse ou vous croise en s’ébrouant sur vous de sa sueur bien évidemment pas inodore. Le voir s’éloigner en bloquant votre respiration ne vous épargnera pas le détail des mucosités qu’il distribue généreusement en les soufflant avec art le long du chemin. Heureusement pour lui qu’on n’est pas en Chine à l’époque de la tuberculose lorsque cracher par terre en période d’épidémie pouvait se payer d’une balle dans la nuque. Vous me direz qu’au lieu d’évoquer Autoportrait de l’auteur en coureur de fond, je ne fais que me vautrer dans mon dégoût du sport et je vous répondrai évidemment par l’affirmative mais que je suis aussi au cœur du sujet.
Comme tous les sportifs, Murakami nous décrit volontiers ses sueurs, ses humeurs, ses sécrétions tout en nous infligeant sur des dizaines de pages la morne comptabilité de ses kilomètres et du temps qu’il met à les parcourir. À plusieurs reprises, il n’oublie pas de nous confier doctement « je suis allé aux toilettes » , précision dans laquelle il ne faut point chercher le moindre atome de second, troisième ou quatrième degré car ce n’est pas parce que le sportif considère objectivement les productions de son organisme soumis à l’effort qu’il goûte pour autant l’humour pipi caca.
L’humour, justement, pas l’humour scatologique mais l’humour léger qu’on trouve dans d’autres livres de Murakami, Autoportrait de l’auteur en coureur de fond en est complètement dépourvu. C’est le livre sérieux, presque grave de l’obsession de la production, de la quantité. En inscrivant la course à pied comme métaphore de l’écriture, Murakami, croyant souligner les qualités d’endurance et de souffle qu’il faut effectivement à l’écrivain pour avancer sur le chemin de son œuvre, ne réussit qu’à nous révéler la vacuité de son projet de vie (toujours plus de kilomètres) et surtout la futilité de son projet littéraire (toujours plus de lignes).
Son succès considérable prive peut-être Murakami de l’esprit critique de ses éditeurs qui ne peuvent sans doute se payer le luxe de lui demander de veiller un peu à la qualité. Quel comité de lecture passerait à un écrivain débutant cette puissante réflexion sur l’âge : « une fois que vous avez passé un certain âge, les choses que vous étiez capable d’accomplir facilement ne sont plus aussi simples... » (page 102). Encore un cliché pour la route ? « Ce qui nous procure le sentiment d’être véritablement vivants – ou du moins, en partie –, c’est justement la souffrance, la souffrance que nous cherchons à dépasser. » On dirait du Charles Juliet dans ses mauvais jours.
Avec cet esprit de sérieux qui ne lui sied décidément pas, Murakami a commis une postface dans laquelle il confie page 215 : « même s’il ne s’agit pas d’un ouvrage très long, j’ai consacré beaucoup de temps à sa composition, beaucoup de temps à le retravailler soigneusement une fois qu’il a été achevé. » Et, cinq lignes plus loin, page 216 : « Je me suis beaucoup appliqué à la composition et à la rédaction de cet ouvrage » .
Adieu Murakami !
03:12 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : haruki murakami, autoportrait de l'auteur en coureur de fond, 1018, marathon, course à pied, sport, le blog littéraire de christian cottet-emard, littérature, japon, critique, mauvaise foi, humeur